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  • Serge

Un article publié dans Dimanche de cette semaine.... La présentation ici est moche (le fond y est)

Servir Dieu sans oublier César ?


Pour l’Eglise, l’économie doit être au service de l’humain, et non l’inverse. Face à une économie de marché financiarisée toute-puissante, une économie sociale et coopérative émerge, que l’Evangile peut inspirer.

Après avoir créé l’humanité à son image, mâle et femme, Dieu a béni les premiers humains,

nous enseigne le récit de la Genèse. Il s’adressa à eux en leur disant: "Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-là. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux

du ciel et toute bête qui remue sur la terre!" (Gn 1,28).


Dans sa belle encyclique Laudato si’, le pape François relit le début de la Genèse en proposant une interprétation de ce verset qui met en exergue la responsabilité de l’humanité à l’égard de la création. Il préfère souligner la dimension d’accompagnement et de garde plutôt que celle de domination et de soumission, pour expliciter ce que Dieu attend des hommes.


En effet, il a aussi confié la terre à tout le genre humain, pour que ses ressources fassent vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. Cette exigence constitue le fondement de deux principes fondamentaux de l’enseignement social de l’Eglise: le bien commun et la destination universelle des biens.


Le dernier concile l’a souligné avec force: "Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que tous les biens de la création doivent équitablement affluer dans les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable

de la charité" (Gaudium et Spes, 69).


Bien commun et propriété privée


La mise en oeuvre de cet impératif généreux n’a jamais été aisée au cours de l’histoire de l’humanité. Dès l’émergence des sociétés dites primitives, les biens ont été attribués à des groupes humains, vivant sur un territoire délimité. Les ressources ont été exploitées, transformées et transmises au sein d’entités qui se sont progressivement structurées et

ont balisé les frontières de leurs avoirs. Certes, des biens communs, inappropriables

par essence comme l’air ou la mer, vont subsister au service de tous et seront gérés par la communauté, notamment les Etats, dès l’époque romaine.


La propriété privée va rapidement s’imposer, créant ipso facto des inégalités plus ou moins fortes entre les détenteurs des ressources, de la terre et des richesses qui en découlent, notamment les avoirs financiers. Certes, les pouvoirs publics, garants de l’intérêt général, vont veiller à la justice, une vertu cardinale et universelle, en redistribuant les moyens en vue de l’émergence d’une société inclusive, une notion contemporaine à la mode, qui manifeste

le souci de ne plus exclure quiconque. La charité, une vertu familière pour les chrétiens, sera aussi de la partie pour oeuvrer au respect de la dignité des plus faibles. L’Eglise jouera très souvent un rôle actif pour concrétiser cet objectif.


Dans nos sociétés occidentales libérales, la propriété privée devient le pivot de l’économie, mue par une incessante recherche du profit. La mondialisation de l’économie a résolument déplacé le

pouvoir vers les grands groupes transnationaux, rendant en partie caduque la capacité d’action de la politique et de ses représentants élus. Le pape François ne manque pas de taper sur ce clou dans le chapitre politique de Laudato si’: "la politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie.


Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la politique

et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine" (LS 189). Nous pourrions tous nous demander quel peut être l’impact d’une personne isolée, d’une famille ou d’une association face à des enjeux tellement gigantesques qu’ils paraissent hors de portée. Le retour d’approches coopératives. Pourtant, nous pouvons y contribuer et nous assistons même à une renaissance du bien commun! L’avenir de la planète,

les déséquilibres internationaux et la crise sanitaire interrogent de larges franges de la société civile. Beaucoup s’interrogent sur la marchandisation de l’essentiel de l’activité humaine, la

financiarisation de l’économie, la fracture numérique consécutive à la digitalisation et, plus globalement, sur la fragilisation de l’humain face à la force de frappe de la technologie, générant une technocratie. De nouvelles façons de vivre, produire et de consommer émergent.


Notre pays est riche d’un réseau associatif dense et dynamique. Dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’aide aux personnes fragilisées, un secteur qualifié de non-marchand a pignon sur rue. Certes, le profil associatif s’est largement mué en société de services mais continue à

mettre en oeuvre certaines vertus du secteur non-marchand. Nous assistons aussi au retour d’approches coopératives, qualifiées plus volontiers aujourd’hui de citoyennes. Raccourcir les circuits entre producteurs et consommateurs était déjà au coeur de l’intuition des inspirateurs du mouvement coopératif d’antan. Après leur effacement progressif, leur pertinence pour

aujourd’hui est réinterrogée. L’économie sociale constitue un laboratoire d’alternatives

à l’économie de marché classique.


Le défi est de taille, car infléchir, même infinitésimalement, le puissant paquebot de la distribution contemporaine des biens et services prend du temps. La culture du débat qui y règne largement, rejoint le questionnement des coopératives d’antan. Comment assurer une alimentation de qualité à un prix accessible? Quel équilibre entre producteurs et consommateurs dans ce secteur ou celui du non-alimentaire? Comment assurer un fonctionnement interne démocratique des sociétés créées? La question du développement durable est venue s’ajouter à la liste des défis. Comment éviter le gaspillage et développer des créneaux dits d’économie

circulaire ? D’autre part, l’économie dite collaborative se développe avec un succès certain

dans notre société. L’on parle d’ubérisation de l’économie. Ces modes alternatifs de distribution des biens ou de services rencontrent des besoins bien concrets, autant dans le chef de leurs acteurs que celui de leurs utilisateurs. Elles suscitent aussi en miroir des questions sociales,

notamment de respect de la dignité de leurs travailleurs dans ces créneaux nouveaux, sans oublier les défis aigus qu’elles soulèvent sur leur compatibilité avec une concurrence saine et la justice fiscale.


Enjeux politiques et spirituels


Ce renouveau des initiatives alimente une réflexion plus fondamentale sur les enjeux politiques, dans la recherche d’une société plus juste et plus respectueuse de la terre et de l’humanité. Ce

maillage associatif est aussi vecteur de démocratie participative, à l’heure d’un certain essoufflement de la démocratie représentative. Ce mouvement, tonique et largement bienfaisant, touche sans doute davantage une part aisée de la société. C’est pourquoi, il est essentiel

que l’ensemble des citoyens soit correctement protégé par une régulation efficace du marché face aux dérives d’un libéralisme effréné. Cette action de contrepoids n’a jamais cessé d’être portée par des acteurs associatifs privés.


Mon expérience personnelle au sein de la direction d’une association de consommateurs

m’a convaincu de la nécessaire vigilance face à la puissance de beaucoup d’acteurs économiques. Elle constitue un ingrédient de ma conviction spirituelle personnelle.

Comme la foi chrétienne est une religion de l’Incarnation, l’Evangile a donc aussi sa place pour inspirer la vie concrète de la société civile, avec ses enjeux économiques, environnementaux, sociaux et politiques. Servir Dieu en oubliant César, ou en s’en désintéressant parce que ce ne serait pas assez spirituel, ne serait-ce pas annoncer l’Evangile en courant le risque de l’hémiplégie ?



✐ Serge MAUCQ, chargé de cours

en éthique à l’UCLouvain


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